Indra
- Gaelle Muraca
- Oct 6, 2019
- 11 min read
Updated: Oct 10, 2020

Il y était
“Bonjour,
Tout d’abord je voudrais tous vous remercier du fond du coeur. Grâce à vous, j’ai cette incroyable opportunité de partager mon expérience avec vous, ici.
Comme on dit en Inde “ Après avoir été coupé et poli, un morceau de charbon peut alors devenir un précieux diamant”. Je pense personnellement qu’en tant qu'êtres humains, nous devons toujours rechercher la perfection, l'amélioration. Alors, merci encore une fois au Green Village de m’avoir “coupé et poli”.
Mon nom est Indra. Je vis dans un petit village appelé Datrengi dans l’Etat du Chhattisgarh en Inde. Mon père est paysan et ma mère s’occupe des quatre chèvres que nous avons.
J’ai actuellement 22 ans. J’ai eu mon baccalauréat dans un lycée public à l'âge de 20 ans. Après le lycée, j’ai débuté des études supérieures. J'étais d’ailleurs le seul de ma famille à avoir cette chance. Mes frères travaillaient déjà depuis de nombreuses années. Mais, malheureusement, j’ai dû arrêter assez rapidement.
Avant, nous avions “juste ce qu’il fallait”. Ma famille est une famille ouvrière mais très travailleuse, capable de subvenir à ses propres besoins en produisant les aliments nécessaires pour nourrir toute la famille. La ferme était assez équilibrée et notre vie était, certes, très simple mais suffisante pour nous tous.
Un jour, ma petite soeur est tombée gravement malade et a dû être hospitalisée en urgence. Elle est restée quatre mois en soins intensifs. Afin de payer les factures, mon père a donc dû vendre la plupart de ses terres agricoles… Il n’y avait pas d’autres options, les revenus de la ferme n'étaient clairement pas suffisants.
A ce moment-là de ma vie, j’avais de grands rêves. J’aimais chanter, danser, écrire de la poésie en parallèle de mes études... Mais, étant donné la situation de ma famille, je n’ai pas hésité, je suis rentré auprès de ma famille pour les aider, assumer mes responsabilités et j’ai mis mes rêves de côté.
J’ai donc commencé à travailler. J’ai été embauché pour faire des ménages, j’ai été ouvrier sur des chantiers, j’ai livré des journaux… Mais je n’ai jamais vraiment réussi à garder mon travail et vraiment ramener quelque chose à ma famille. Soit je n'étais, finalement, pas payé en fin de mois, soit je n’arrivais pas à supporter la pression de mes patrons indiens passant leur temps à insulter ou crier sur leurs employés comme méthode de management… Du coup, je revenais au village pour aider mes parents à gérer les tâches de la ferme. Mais, très vite, les revenus étaient de nouveau insuffisants… Alors, je retournais chercher un autre travail. Je me rappelle, en particulier, de mes mois sur les chantiers de construction. J'étais “labour”, c’est-à-dire que je portais les matériaux, en particulier, les briques sur ma tête toute la journée. Mes mains étaient tellement écorchées que je n’arrivais même plus à manger.
En Inde, un proverbe dit “Jahan chah hai vaha raha hai”. Cela se traduirait littéralement par “Quand il y a un souhait, il y a un chemin.”. Peut-être le “Quand on veut, on peut” en francais.
Un jour, un ami d'école, Harish, m’appelle. Il voulait que je rejoigne une formation qu’il venait de terminer. Mais, à ce moment-la, je n’avais même pas les 200 roupies (2.25 euros) pour payer le transport.
Trois mois plus tard, il m’a rappelé de nouveau. Je n’avais toujours pas l’argent mais il a vraiment insisté. J’ai donc demandé a ma mere d’emprunter un peu d’argent aux voisins. J’ai pris les deux vêtements que j’avais et je suis donc parti.
Je ne savais pas grand chose à propos de la formation à vrai dire. C'était juste la seule opportunité qui me tendait les bras et je ne pouvais pas la rater.
Depuis toujours, je rêvais d’avoir mon propre petit business. Je suis convaincu qu'à partir de petits objectifs on peut réussir de grandes choses, avec patience, petit à petit. Pour moi, ce serait aussi une manière d'être indépendant financièrement et de pouvoir aider d’autres personnes à mon tour.
Je ne m’y attendais pas du tout mais, au Green Village, j’ai fait les premiers pas pour réaliser ce rêve car nous avons créé notre propre entreprise ! Une partie de la formation consiste à nous former sur comment monter son business. Comme un jeu mais très réaliste. Avant, j’en rêvais mais je n’y connaissais vraiment rien. Je n’ai jamais vu ça à l'école. Du coup, c'était une grande et belle surprise pour moi.
La formation traite aussi énormément de “développement personnel”. Comment chercher un travail ? Mais aussi, comment être prêt à travailler ? Quelles sont mes compétences ? Pourquoi ?...
Et, en dehors de tout ça, c’est également une expérience qui fait prendre conscience de notre rôle à jouer en tant que citoyen et éco-acteur dans notre propre pays. On organise des événements comme des “Trash challenges” (grands ramassages de déchets), dons du sang, peinture avec la communauté, etc.
Maintenant, je suis agent de centre d’appel dans une école d'ingénieur et j’aide enfin réellement ma famille. Quand j’ai reçu mon premier salaire, j'étais tellement heureux. Pour la première fois de ma vie, j’ai pu donner de l’argent à ma famille.
Tout a changé dans ma vie avec l'expérience du Green Village. Ma gestion du temps. Mon attitude. Ma capacité à gérer une situation donnée. Ma personnalité. Je me sens comme... “plus fort”.
Ce n’est pas seulement une formation. C’est une expérience de vie.”
Et c'est comme ça qu’Indra, de son petit prénom, ou Indranarayan, de son long mais vrai prénom, a témoigné en France en Octobre 2019 pour célébrer les 10 ans de LP4Y, l’Agora. Oh Happy Day !
Après un lancement de procédure de passeport en Août, où nous nous sommes rendus compte qu’Indra n'avait pas les trois papiers requis pour déposer sa demande de passeport.
Après des dizaines d’allers-retours dans son village, fort fort fort lointain à quatre heures de route en bus, pour aller chercher les documents familiaux originaux pour faire sa carte de sécurité sociale ou modifier le prénom de son papa (qui était mal écrit sur sa carte d'identité, ce qui avait valu de se faire recaler aux cinq derniers jeunes que je devais emmener au Gala de New York avec moi en mars dernier !).
Après s'être rendu compte que la police n'avait pas trouvé sa maison pour faire la vérification d'adresse car vivant dans un endroit trop perdu au milieu de nulle part avec aucun numéro de rue... si rue il y avait en fait !
Après avoir demandé une seconde vérification... en se demandant si le policier ne voulait pas plutôt un petit billet glissé sous la table pour pouvoir “comme par magie” débloquer le dossier...
Après avoir reçu le passeport à la mauvaise adresse. Ben oui ! Maintenant que l'adresse était vérifiée cela aurait été trop facile qu'ils l'envoient à la bonne adresse !
Les nuances colorées d'un jeudi 26 Septembre
Le passeport arrive finalement dans la petite maison de cambrousse de la douce famille d'Indra, nous sommes le jeudi 26 septembre. Le témoignage d'Indra pour les 10 ans de LP4Y est le 5 et 6 octobre. Il nous reste très exactement une semaine pour obtenir le visa et arriver en France. Gloup.
OK. C’est pas le moment de prendre racines ! Indra va chercher son passeport chez lui pendant que je l'inscris sur le site pour déposer son visa et finalise son dossier avec les données de son passeport, enfin, arrivé ! Yiiiiiihaaaaa! Je me rends alors compte qu'il doit aller en personne à Calcutta... Mais le centre de depot de visa est fermé le samedi et le dimanche et il faut au minimum deux jours de procédure. Bref = c’est aujourd’hui le dernier jour ! J'appelle donc notre fondateur qui a toujours une solution à tout, John, pour lui expliquer. Il me dit qu'il est trop tard qu’Indra ne va finalement pas venir car ça semble trop compliqué et trop coûteux. L'avion pour Calcutta coûte 120 euros...
Déception totale, j’ai les larmes aux yeux, le coeur qui s’emballe. Non, non, nooooon !!!!! Pas après touuuuuuut ça!
Trois options s'offrent à nous :
Abandonner (mais ça c'est mal connaître Indra ou mal me connaître),
Aller en avion en faisant une collecte auprès des volontaires du centre (qui se sont proposés !!!) pour réduire le coût du billet d'avion. Mais bon, niveau impact écologique et “cohérence”, je reste alignée avec John, ca reste de l'argent balancé par les fenêtres.
Ou y aller en train... 16 heures de train, 200 rupees (genre 2.5 euros).
Ben… Option 3 ! Banko !
Après un départ très matinal (c’est-à-dire aux alentours de 5 heures!), frais comme un lupin de printemps pour aller récupérer son passeport à Raipur, Indra revient donc au centre à 17h. Pas le temps de parler de la mousson qui nous humidifie bien la vie, qu'il est déjà, sans trop rien y comprendre, avec un sac sur le dos à 18h. Sac à valeur inestimable : celle d'un voyage d'une semaine à Paris pour représenter son pays, son histoire, sa famille et vivre une expérience des plus impensables que peu de jeunes de son milieu pourront faire de toute leur vie !! On court. Il pleut comme une vache incontinente. On est trempés comme des souplettes. On ne trouve pas le bon quai. Ouf, le train est en retard. Il monte. Il me dit qu'il a plus de batterie dans son portable. Vite, un papier, un stylo. Je lui écris sur un papier mon numéro "Demande a quelqu’un d’emprunter son portable pour m’appeler et me tenir au courant". Il n’a même pas la place d’entrer dans le couloir tellement le train en plein à craquer. Il est mi-figue mi-betterave. Il sourit quand même. Il ne me l’a pas dit mais il n’a jamais pris le train avant ça.
Le train part. Je suis en sueur et détrempée de la “radée” qu’on s’est pris. Je ne sais plus si j’ai chaud ou froid, ni si je suis rassurée ou inquiète de le savoir seul dans ce plan, qui certes peut marcher… Mais, nous n’oublions pas que nous sommes en Inde. Il a rendez-vous demain à 14h30 pour déposer son visa. Son train arrive à 12h20, il a environ 1h de trajet pour aller au centre de dépôt de visa. Ça va le faire.
Seize heures plus tard, appel d'un numéro inconnu : "Coach le train est en retard d'une heure"... "C'est pas grave tu prendras un taxi, ça va le faire". L'avantage du téléphone c'est qu'il ne voyait pas ma tête blanche comme une chemise blanche d’embauche que tu aurais oubliée de repasser ! Allez Galou, faut y croire !!! Inspire, expire, inspire, expire… La méditation tu te rappelles ?
Nouvel appel une heure plus tard "Coach je suis arrivé, je prends un taxi.". Nouvel appel quarante minutes plus tard : "Coach ils disent que c'est fermé l'ambassade". Couleur de visage de la coach qui passe de la chemise froissée blanchâtre au vert claire genre rideaux d'hôpital... "Coach ils disent que c'est pas là pour déposer les visas". Le vert s'intensifie tout en tirant sur le verdâtre coupé avec des pommettes rouges de honte... Purée, je l'ai envoyé à l'ambassade ! Mais quelle débile !!!! Fallait aller au centre de dépôt de visa, le VSF ! Pas l’ambassade… Noooooooooooooooooon stupide Hobbit joufflu que je suis !!!!
Heureusement, une volontaire de Calcutta, Super woman Justine, est là pour nous rattraper au vol avec nos nuances de verts au bord de la gastro-entérite. Elle prend un Uber plus vite que l'éclair, ils vont au centre VSF à 40 minutes de là. La cape au vent évidemment ! Et là, "Désolé, vous êtes en retard de plus de deux heures, ce n'est plus possible".
Je ne compte plus les appels ni les tons et nuances de verts par lesquels on passe, c'est une peinture aquarelle sur la thématique des épinards ..."Coach, ils disent que c'est pas possible"... "Tu en penses quoi toi Indra? Tu crois vraiment que c'est pas possible ?... Ok, alors raconte-leur pourquoi tu veux partir, qu'est-ce que ça représente pour toi."
Et... c'est comme ça que le réceptionniste ré-ouvrit l'accueil dix minutes plus tard, lui a même offert ses photos de passeport qui n'étaient pas à la bonne taille. Bref, Indra quoi.
"Coach ils disent que c'est pas possible pour mercredi prochain, il faut payer un supplément, mais tu m'as pas donné assez d'argent". Super Woman Justine entre de nouveau dans la danse avec sa cape et son portefeuille aux super pouvoirs magiques "Ok je vais retirer, attends moi".
"Coach, ils disent que maintenant faut attendre un texto". Arc-en-ciel sur ma peau de petite blanche au beau milieu de l’Inde !
A la Saint Ghandi
Pendant que je suis en accompagnement d'entretien d'embauche de nos quatre jeunes sourds et muets qui galèrent de fou à trouver un boulot dans cette charmante ville “hyper émergente mais pas du tout prête à accueillir des jeunes différents" qu'est Raipur, texto de Indra : "Votre visa est prêt pour collecte à Calcutta". CHAMPAAAAAAAAAAAAAGNE !!!! (L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, patati patata)
Plus de batterie, mon portable s'eteint.
Je rentre, il est 20h, l'entretien des jeunes sourds et muets, Jhanak, Mahendra, Ranjula et Jageshwatri, s'est pas si mal passé mais les conditions sont encore une fois non acceptables ! Treize heures de taf par jour, un demi jour de repos par semaine : le dimanche aprem à partir de 15h. Comment les gérants imaginent-ils un instant qu’on va crier de joie en leur tapant dans l’dos. Ils méritent bien mieux et ils obtiendront bien mieux ! C'est pas grave, ça leur fait une expérience.
Portable reconnecté. Il est temps d'acheter les billets. Direction Paris... avec quelques détours entre temps!
Tout d'abord, il nous faut un trajet pour Calcutta assez tôt le matin pour pouvoir avoir le temps de récupérer le visa au centre VSF
Une fois le visa en poche, prendre un autre avion le jour-même pour aller à Paris.
Il est 1 heure du matin. On est donc déjà officiellement le jour du départ... Aaaaah ! Flippant! J’ai pris environ 45586 cheveux blancs et je suis désormais marquées de 10 rides-réservation-billets-d'avion… Mais, c’est fait ! Tous les trajets sont réservés. Maintenant, objectif = faire son sac avant dodo technique de trois heures. Sieste nocturne quoi. Ensuite, aller chercher Indra à 5 heures du matin pour départ imminent de l’autre côté del mundooooo. C'est ti-par le léopard.
Après le tout premier train de sa vie, Indra fait l'expérience du tout premier vol en avion de sa vie en me répétant toutes les cinq minutes "C'est vraiment vraiment bizarre Coach. Tout est la première fois pour moi, Coach". Ahah ! Indra... voyage !
Après un vol de 1h30 à éclater de rire à chaque mouvement d’air de l’avion face au visage méga-hyper-crispé d’Indra ou encore face à son premier décollage les doigts en fusion avec les accoudoirs, on discute de son futur témoignage. Nous arrivons à Calcutta. Petite négo de taxi qui tente la classique petite arnaque touristique car, en fait, on réalise qu’on est tous les deux des “étrangers” ici : à Calcutta les indiens parlent Bengali, Indra parle Hindi et Chhattisgarhi. L’inter-interculturalité. Bref, on arrive au centre des visas.
"C'est ici pour les visas pour la France?"
"Oui, pourquoi ?”
“On vient récupérer un visa, on a eu un message hier soir.”
“C'est fermé aujourd'hui. C'est l'anniversaire de Gandhi. Vous avez qu'à revenir demain, il n’y a personne dans les bureaux aujourd’hui.”
Le visage chocolat doré de Indra devient aussi blanc que moi après l'hiver, jadis dans ma vie antérieure. Moi je vire, comme d'hab, au vert... peut-être fluo cette fois. On repart “normalement” d’ici cinq ou six heures pour Paris. Ah ah (rire jaune… fluo aussi).
Je tente la discussion, l'émotion plein la voix en expliquant tant bien que mal la situation, les frais engagés, les actions de l’ONG,... Le mec reste de marbre. Pas du tout sensible à ma nouvelle teinte de peau vert-pomme-Granny spéciale pour l’occasion.
Je retourne vers Indra en essayant de garder mon détachement et mon positivisme habituel en mode “T'inquiète pas on va trouver une solution” mais le sourire est plus nerveux que sincère. Il n’a vraiment pas l’air de me croire. Je ne me crois pas vraiment moi-même à vrai dire. Allez Gaëlle, réfléchis… Y’a pourtant pas de dicton qui dit “A la Saint Ghandi, ton visa c’est cuit”.
Je regarde Indra. Il me dit “J’essaie de leur parler Coach ?”. Ben… oui ! Oui Indra ! Fais comme avec le mec du centre VSF l'autre jour avec Justine.
Et... voila. On est à Paris.
PS: La légende dit que pour son retour, sa boulette de Coach accompagnante (décidement celle-là !) a réservé son billet d’avion Calcutta-Raipur avec sa CB personnelle à elle... sans lui donner de copie. Ca peut paraître un détail comme ça. Mais vu qu’il voyageait seul cette fois, c'était un détail croustillant…(étant donné qu’une copie est nécessaire avec certaines compagnies aériennes)... La légende dit aussi qu’Indra n’avait toujours pas de batterie dans son portable (évidemment !), pas non plus de cash et qu’il a donc dû prendre un train en mode grosse “jugaad” (internationalement célèbre “plan B” à l’indienne) pour revenir au bercail à coup de “grosses négociations à la Indra”. Il faut qu’il devienne avocat ce jeune !!
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