Tushar
- Gaelle Muraca
- Mar 8, 2019
- 6 min read
Updated: Oct 10, 2020

" Bonsoir à tous,
Quand j'étais petite, je voulais sauver la Planète. C'était probablement dû à l’influence de mon père qui était un pionnier en recyclage de plastique à une époque où personne ne s’en préoccupait vraiment. Notre activité familiale du dimanche était de trier les bouteilles plastiques puis de les emmener aux industries du coin.
En grandissant, je réalise que si je veux vraiment sauver notre belle planète, je dois avoir un vrai impact… ce qui passe par faire des études avant ! C’est donc avec cette idée en tête que je rentre en École d'Ingénieur. Toute ma famille pensait que j’avais perdu la tête… Avec un papi qui avait commencé de travailler dès ses quatorze ans dans un abattoir, c'était pas vraiment le “chemin familial”. J’avais donc à coeur de prouver à ma famille que je pouvais devenir ingénieure tout en restant fière de mes racines.
Mais, honnêtement, ce n'était pas facile. A l'école, j’avais droit a pas mal de commentaires désobligeants de la part des “fils ou filles de…”. Ils avaient un certain talent pour me faire sentir que je n'appartenais pas à leur monde. Mon prof de Maths m’a même dit un jour “Tu ferais mieux de postuler à Mc Do au lieu d’essayer de réussir quelque chose ici.”
Mais, en fait, ca m’a juste donné encore plus de raisons et de motivation pour travailler dur et… quelque part, je les remercie parce que... au final, j’ai réussi!
Après 3 ans d'études, quelque chose me manquait. Je suivais le troupeau, pas mon rêve.
Il me fallait une expérience de vraie “green” ingénieure pour comprendre où j’allais.
A l’encontre de l’avis de tous mes profs, j’ai organisé une année de césure en Colombie. Ma mission était de trouver un moyen d’alimenter en énergie les bidonvilles de Medellin.
Et, c’est là ! C’est cette expérience qui a fait basculer toute ma vie ! J’ai eu le sentiment d’avoir enfin trouvé ce qui pouvait me rendre Heureuse toute ma vie! La Joie d'être au service des Autres et de la Planète en même temps. Je me sentais en paix. Comme si j'étais enfin “utile” au monde. Remplie de quelque chose de nouveau… où mon coeur travaillait main dans la main avec mon cerveau pour essayer de “faire du bien” autour de moi. Je me sentais à la place exacte où je devais être.
Je suis revenue en France. J’ai terminé mes études et j’ai décroché un boulot dans une grosse entreprise énergétique… Parce qu'à ce moment-là, pas le choix. Il me fallait un peu d'expérience pour développer de vraies compétences professionnelles et mon prêt étudiant attendait sagement que je mette des sous de côté pour le rembourser.
Après deux ans, je refuse de signer mon CDI pour rejoindre Life Project 4 Youth. Je devenais volontaire pour construire le premier Green Village à Calauan. En plein coeur d’une région rurale des Philippines, socialement et économiquement bien en marge.
Wahou wahou wahou… Construire un éco-village ?! Je ne pensais pas réaliser ce rêve avant d’avoir au moins quarante ans… et Boum ! Mon rêve est là. Je suis là. J’ai vingt-six ans.
Pour moi le Green Village sonnait comme l’outil pour changer le monde. Le concept d'écologie humaine sur lequel j’ai tellement lu auparavant : valoriser les traditions, utiliser les ressources locales et naturelles, dynamiser et impliquer les populations exclues, les positionner comme acteurs de changement dans leur propre communauté. J'étais tellement excitée… et stressée en même temps.
Mais, arrivée à Calauan, c’est un peu la cata ! Un typhon a rasé le premier prototype de construction en bambou, le propriétaire du terrain a changé d’avis (nous n’avons donc plus de terrain pour le projet) et même l'équipe de volontaires LP4Y ne croit plus vraiment au projet.
Mais… encore une fois, cela m’a donné encore plus de motivation pour me battre et faire sortir de terre cet incroyable projet. C'était impossible d’imaginer une seule seconde de rentrer en France sans avoir construit ce Green Village !
Quatre ans plus tard, Tatiiiiiin ! On l’a fait ! Le Green Village de Calauan est là. Sur pied. Splendide. Presque terminé avec une quinzaine de bâtiments en bambou, alimentés en énergie solaire, un traitement naturel des eaux et des arbres fruitiers partout ! 1.5 hectares de vitrine écologique.
Et ce n’est pas tout. Plus de 200 Jeunes formés qui profitent maintenant d’une vie décente. Un projet pionnier fait par et pour les Jeunes. Vous imaginez ça ?
En dehors des Jeunes, le Green Village est un vrai symbole de fierté et d’inspiration pour plus de cinquante partenaires nationaux, internationaux et pour la communauté locale tellement impliquée dans le projet. En 2017, on a même remporté le Prix Convergences dans la categorie “International”. Impensable pour un projet qui n’était pas loin d'être abandonné quatre ans avant.
Mais, finalement, ceci n'était que le début. En 2018, Jean Marc Delaporte, le co-fondateur de LP4Y, me donne un nouveau challenge : lancer un deuxième Green Village dans la région isolée du Chhattisgarh, un des Etats les plus pauvres d’Inde. Et avec un petit challenge additionnel : concevoir une nouvelle pédagogie ! Ooooh ! Il veut réduire la formation existante de neuf mois à trois mois afin de pouvoir répondre à l’urgence du chômage touchant sévèrement les Jeunes en Inde.
“Chalo chale!” comme on dit en hindi - “C’est parti !”.
C’est comme ca que j’ai renouvelé année après année sur ce même projet Green Village. Et c’est comme ça que j’ai continué d'être émerveillée, année après année. Et meme apres six ans, je suis toujours constamment surprise. En particulier, par le potentiel incroyable des Jeunes. Plus tu crois en eux, plus ils grimpent et t’en mettent plein la vue ! Ils apprennent, ils essaient, ils échouent et, là, ils osent encore et encore ! Comme s’ils n’avaient pas de limite.
Autre chose m’a beaucoup marqué ces derniers temps : l'intensité du lien et de l'unité qu’ils sont capables de créer pendant ces trois mois de formation résidentielle. Un espèce d’esprit de famille générateur de miracle.
Je voudrais partager avec vous l’histoire de Tushar.
Tushar est un jeune venant du village même de Saragaon où est implanté le Green Village Raipur en Inde. Il n’a pas pu terminer son lycée. Il est le genre de jeune qui fixe le sol quand il te parle… Endroit où il positionne certainement sa propre estime de lui, je pense.
Chaque jour, Tushar devait se battre avec son père alcoolique pour protéger sa maman des violences quotidiennes. Mais, malgré ca, il a tout de même fait le choix difficile de rejoindre notre programme résidentiel et, donc, de laisser sa mere seule. Avec pour espoir de trouver un boulot décent et d'être capable de s’occuper d’elle dans le futur.
Deux semaines avant la fin de la formation, il a tout abandonné, rattrapé par ses multiples addictions. Mais... contre toutes attentes, les autres jeunes n’ont jamais arrêté de le soutenir. Malheureusement ce n'était pas assez et il a échoué à chacun de ses entretiens d’embauche. Et, rebelote.
Les mois passaient mais ni les jeunes ni les volontaires ne le laissaient tomber. On a continué de lui répéter “N’oublie pas Tushar que tu as ta deuxième famille ici, tu le sais hein?”.
Et, la semaine dernière, il était là. Toujours avec son regard cloué au sol comme à son habitude mais, cette fois, c'était comme s’il souriait aux graviers en face de lui. Il était beau, bien habillé, propre, rasé de près… Je me souviendrai toute ma vie du moment où j’ai croisé son regard et que tout son visage s’est éclairé d’un énorme sourire. Même ses yeux souriaient ! Ses yeux brillaient et criaient “Oui, j’y suis arrivé !”. Je n’ai pas vraiment réussi à cacher mon immense sourire en retour et quelques larmes qui me montaient aux yeux. J’ai eu envie de courir. Je me suis retenue de le serrer dans mes bras en criant comme une folle… parce que, bon, je reste Coach. Tout de même.
“J’ai un travail Coach. C’est bon, j’ai trouvé ma voie.”
C’est ça la magie de Life Project 4 Youth.
Peut-être que vous comprenez mieux pourquoi je suis encore volontaire cinq ans après ? Tout simplement car je sais que je trouverai toujours l'énergie en moi pour me battre pour la Planète et pour aider les gens à trouver leur chemin dans la vie.
Je me sentirai toujours à ma place en étant le porte-parole de ces Jeunes, en partageant leurs histoires pour que le monde les comprennent. Comprennent qui ils sont, à quel point ils peuvent être résilients, uniques.
Je souhaite pouvoir raconter des histoires comme celle-ci chaque jour de ma vie. Mais pour ça, tous les coaches et volontaires de LP4Y ont besoin de vous tous ce soir, pour croire en Tushar et en tous les autres, pour commencer ensemble à écrire des centaines de nouvelles histoires.
Alors, chalo ?"
Témoignage donné lors du Gala LP4Y à New York - Mars 2019
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